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Dossier exclusif : le CIPA nous présente le cahier des charges uniques de production piscicole.

Le Comité Interprofessionnel des Produits de l'Aquaculture (CIPA) réunit les producteurs piscicoles français. Le 26 janvier dernier, l'interprofession a publié un cahier des charges unique de production piscicole en partenariat avec la grande distribution et le WWF notamment. En quoi consiste ce cahier des charges unique ?

Le Comité Interprofessionnel des Produits de l’Aquaculture (CIPA) réunit les producteurs piscicoles français. Le 26 janvier dernier, l’interprofession a publié un cahier des charges unique de production piscicole en partenariat avec la grande distribution et le WWF notamment. En quoi consiste ce cahier des charges unique ? Concrètement, quelles entreprises sont concernées ? Quelle en sera la valorisation ?

Agro-media.fr a interviewé Pascal Le Gal, le président du CIPA, à propos de ce cahier des charges unique de production piscicole et vous retranscrit en exclusivité l’intégralité de cet échange.

 

Pourriez-vous brièvement nous présenter le CIPA et votre rôle au sein de celui-ci ?

« Je suis le président en exercice du Comité Interprofessionnel des Produits de l’Aquaculture (CIPA). Le CIPA a été créé en 1997. Organisme interprofessionnel, le CIPA est une réponse à l’administration qui désirait avoir un interlocuteur unique, ce qui permettait d’organiser une filière avec différentes commissions qui travaillent chacune sur une problématique particulière. Nous avons donc une commission sociale, une commission environnement, une commission sanitaire, une commission R&D et une commission marchés. »

Pourquoi le CIPA a-t-il décidé d’élaborer un cahier des charges unique de production piscicole ?

« Le CIPA s’est intéressé à la durabilité vers les années 2000 et a commencé à définir quelques pistes qui ont abouti à la création de l’outil IDAqua®. Il est composé de plusieurs indicateurs permettant au pisciculteur de faire un diagnostic de la durabilité de son exploitation. Nous avions élaboré une charte qualité qui, au départ, devait normaliser les bonnes pratiques des ateliers de transformation (respect de la chaîne du froid, homogénéité des produits…). Cependant, cette démarche a eu lieu au même moment que les crises alimentaires (vache folle notamment), donc les enseignes ont souhaité aller plus loin et ont créé par précaution leurs propres filières qualité. Elles se sont servies du cahier des charges de base et y ont rajouté des considérations plus techniques par rapport à l’alimentation notamment. Ceci a permis dans un premier temps de rassurer et de normaliser les relations avec la grande distribution car le CIPA n’a pas de collège représentant la distribution.

Seulement, cela a aussi cloisonné le marché, les enseignes travaillant exclusivement avec quelques pisciculteurs. Par définition, nous avons un métier qui est sujet aux aléas climatiques. De fait, être fournisseur d’une enseigne mais ne pas être en mesure d’avoir des produits à lui fournir (car à un moment donné de l’année par exemple le niveau des rivières fait que les stocks doivent baisser et que l’on ne peut plus s’engager à trois ou six mois pour des offres promotionnelles) posait problème. Un éleveur lambda, ou un groupe d’éleveurs, était censé produire des produits identiques mais avec des cahiers des charges différents, donc dans des bassins différents, pour des enseignes différentes. Il devenait un peu absurde d’avoir en quelque sorte un bassin dédié par enseigne… Le cloisonnement était donc un premier problème.

Pour ceux qui fournissaient la grande distribution, il était aussi difficile de se projeter dans le temps, et les autres n’avaient même pas la possibilité d’être référencés. Cette démarche n’était donc pas vraiment axée filière. »

« C’est pourquoi nous avons élaboré le cahier des charges unique, dont le lancement officiel a eu lieu le 26 janvier dernier, et maintenant nous sommes en train de le mettre en place. »

Quels sont les grands axes du cahier des charges ? Les priorités ? Dans quelle optique a-t-il été élaboré ?

« Nous avons voulu à la fois identifier la production française et donc les garanties qui s’y rapportent, engager l’ensemble de la profession dans une démarche responsable et en contrepartie permettre à tout un chacun de pouvoir vendre ses produits à n’importe quelle enseigne. Nous ne cassons pas la relation enseigne-fournisseurs, les enseignes gardent leurs opérateurs mais ces derniers peuvent élargir leur base de production. Le cahier des charges unique démarre à l’œuf et se termine à l’arrivée du produit dans l’atelier. »

« Simplification, intégration des problématiques environnementales et sociétales actuelles qui ne faisaient pas forcément partie ni de la charte qualité ni des cahiers des charges filières, et, sur des sujets importants comme les matières premières rentrant dans l’alimentation des poissons, création d’une commission de travail ouverte (où les associations de consommateurs, les ONG comme le WWF et l’IUCN, la grande distribution, les producteurs et l’administration participent), constituent la base de ce cahier des charges. »

« La production piscicole française est stable depuis 20 ans, autour de 40 000 tonnes. Si l’aquaculture s’est développée dans le monde, au niveau national elle est stable voire en régression au niveau de la pisciculture marine, ce qui est un comble. L’idée est aussi de faire comprendre à l’opinion publique que l’aquaculture française est responsable, qu’elle fait du bon boulot et qu’il faut en être fier. »

Quels seront les bénéfices apportés par ce cahier des charges ?

« Le cahier des charges unique est une démarche gagnante :

  • pour le producteur qui, sous réserve d’un engagement dans une démarche responsable (pratiques d’élevage, respect de l’environnement…), se voit offrir des débouchés qu’il n’avait pas avant.
  • pour les opérateurs qui s’adressent directement à la grande distribution, vu qu’ils peuvent mieux juguler leur offre en fonction des aléas climatiques.
  • pour la grande distribution qui se voit confortée dans son offre et qui peut jouer aussi certains jeux associatifs entre une production de qualité et des commerces de proximité. Elle se désengage aussi de problématiques qui ne sont pas les siennes (gestion des rivières par exemple). C’est à l’interprofession d’engager sa responsabilité auprès de l’opinion publique.
  • pour les ONG et les associations de consommateurs qui verront les choses en toute transparence.
  • pour le consommateur lui-même qui, même s’il entend bien qu’une enseigne engage sa responsabilité sur les produits qu’elle propose, préfèrera un label rouge, un label bio ou un label national.
  • pour l’administration qui saura exactement ce qui se fait sur le territoire national et qui pourra prendre les bonnes décisions si l’on veut développer l’aquaculture nationale ou continuer à favoriser les importations massives au détriment de notre balance commerciale. »

Quels acteurs ont participé à l’élaboration de ce cahier des charges ?

« Déjà, il a fallu se mettre d’accord entre nous et ce n’était pas simple. Après moult explications, les professionnels ont compris que :

  1. ils ne perdraient pas leur relation privilégiée avec la grande distribution.
  2. ils pourront éventuellement s’associer avec d’autres producteurs, juste sur la partie production, pour ouvrir leur offre et leur permettre de mieux fournir la grande distribution.
  3. ils éviteront ainsi les engorgements ou les pics de surproduction par exemple.
  4. sur des régions qui n’ont que très peu accès à la grande distribution ils pourront fournir les magasins de proximité sans devoir passer par les centrales d’achat.

Ensuite, une fois que nous étions tous d’accord, nous nous sommes adressés à la grande distribution, qui n’a pas été facile à convaincre. Nous nous sommes alors tournés vers l’administration, qui a été intéressée dès le départ, notamment le ministère de l’Agriculture. Ils ont alors participé en tant qu’observateurs. Nous nous sommes ensuite adressés à une ONG, le WWF, qui avait une stratégie différente (valorisation des meilleurs opérateurs pour pousser les autres à progresser). Il a trouvé l’idée intéressante et la filière assez petite pour être pilote. Ils se sont donc associés à nous. Il restait la grande distribution, dont certaines enseignes sont encore réticentes. La majorité est favorable, elle a joué le jeu et nous a donné, sous couvert d’anonymat, son cahier des charges afin que nous en fassions une synthèse. Nous avons essayé de répondre aux inquiétudes de chacune de ces enseignes. »

Combien de temps a-t-il fallu pour élaborer ce cahier des charges unique ?

« Cela aura pris 3 ans. Principalement en raison d’inquiétudes à lever. Aujourd’hui, je pense que tout le monde a compris l’intérêt pour l’interprofession de basculer dans une logique filière. Cela n’empêche pas d’avoir une stratégie particulière mais nous avons une base commune qui nous unit. »

Quelles productions sont concernées ?

« Pour l’instant, le cahier des charges unique ne concerne que la truite, car elle constitue le gros de la production française (33 000 tonnes, alors que le poisson marin constitue 7 000 tonnes, la filière turbot est 100% label rouge donc elle est un peu particulière…). Nous allons essayer de mettre cela en place, et ensuite si les producteurs de poisson marin veulent s’intégrer dans cette démarche, ils le pourront tout à fait. »

A qui le cahier des charges s’applique-t-il ?

« Les producteurs restent libres de leurs choix. Le CIPA fédère 450 entreprises productrices de truite qui réalisent une production de 500 tonnes à quelques tonnes seulement. Nous voyons mal ces petites entreprises supporter un audit national. Comme l’interprofession veut reprendre sa responsabilité, le cahier des charges comprendra aussi des critères demandés par le ministère de l’Environnement (analyses de rejet, etc.). Donc dans l’audit annuel, nous aurons non seulement des contraintes propres à ce cahier des charges, mais aussi des contraintes administratives supplémentaires. Certaines entreprises sont presque entièrement dédiées à l’exportation, on peut donc comprendre qu’elles n’auront probablement pas envie, du moins dans un premier temps, d’adhérer à une démarche générique nationale. »

D’après vous, combien d’entreprises adhèreront à ce cahier des charges ?

« Il y aura d’abord toutes celles qui sont actuellement sous des cahiers des charges divers. Dans l’absolu, même si nous n’avions aucune nouvelle entreprise ce serait déjà un progrès en termes de flux grâce aux échanges qui vont se développer entre les piscicultures. Aujourd’hui, environ 70% de ce qui est consommé est vendu en grande distribution. Cela représente entre 15 et 20 000 tonnes de produits piscicoles qui sont déjà sous filière d’enseigne (40 à 50% de la production nationale). J’espère que 10% s’ajouteront dans l’année qui vient. Ensuite, les pisciculteurs choisiront : soit ils produisent du bio, soit ils font du label rouge, soit ils intègrent le cahier des charges unique, soit ils n’adhèrent à aucune de ces démarches et privilégient la vente au détail ou l’exportation. Quoi qu’il en soit, cahier des charges ou pas, le pôle des fabricants d’aliments de la profession s’est déjà imposé, pour tous les producteurs français, des contraintes et des règles précurseurs (interdiction des OGM par exemple …). »

Comment le cahier des charges sera-t-il valorisé auprès des consommateurs ?

« Ce cahier des charges va s’intégrer à la « Charte Qualité – Aquaculture de nos Régions® » que le CIPA va promouvoir. Nous allons essayer de travailler main dans la main avec les enseignes pour mettre en place des supports de promotion apportant de la visibilité à notre démarche tout en valorisant l’enseigne. Il ne s’agit pas de banaliser leur filière qualité, ce n’est pas le but. L’objectif est qu’il y ait un tronc commun à partir duquel chacun pourra faire ce qu’il veut. L’idée de base, c’est que sur les questions sanitaires et environnementales, il n’y ait pas de concurrence. N’importe quel consommateur a le droit de manger sain et de manger un produit respectueux de l’environnement pour ce qui est produit en France. »

 

Agro-media.fr remercie M. Pascal Le Gal d’avoir accepté de répondre à nos questions.

Propos recueillis par Vanessa Dufus.

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