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Zoom sur le goût.

Alors que le patrimoine gastronomique français est désormais reconnu par l’Unesco, les entreprises agroalimentaires misent de plus en plus sur le goût de leurs produits pour conquérir les consommateurs. Cette nouvelle tendance qui met en avant le plaisir succède à d’autres plus axées sur la santé.

Alors que le patrimoine gastronomique français est désormais reconnu par l’Unesco, les entreprises agroalimentaires misent de plus en plus sur le goût de leurs produits pour conquérir les consommateurs. Cette nouvelle tendance qui met en avant le plaisir succède à d’autres plus axées sur la santé. Ainsi, selon Pascale Hebel, directrice Consommation du Credoc : « du tout-light, nous sommes passés au tout-santé puis, aujourd’hui, au tout-plaisir, en maintenant toutefois la valeur bien-être ». De plus, le goût reste l’un des principaux motifs d’achat d’un produit. Pourtant, il est difficile à évaluer et quantifier, car très subjectif, bien que les méthodes d’évaluation sensorielle des aliments évoluent et s’affinent. La part psychologique dans le déclenchement de l’acte d’achat a également longtemps été négligée par les industriels. Selon l’institut In Vivo BVA : « les investissements en matière d’études consommateurs privilégient souvent la compréhension des leviers publicitaires par rapport à ceux de la performance produit. Un paradoxe marketing quand on sait que le produit reste le moteur du réachat ».

L’apprentissage du goût démarre dès le plus jeune âge. Le programme EduSens, du pôle Vitagora, a ainsi révélé que la diversification des goûts et son éducation permettaient de réduire la peur des aliments nouveaux (appelée néophobie). Ce stade intervient chez les enfants entre trois et six ans. L’importance de préserver cette culture gastronomique en France a mené à la création en janvier 2011 du réseau national pour l’éducation au goût des jeunes âgés de trois à quinze ans. Et les enfants représentent une cible importante pour de nombreuses entreprises agroalimentaires. Sandrine Monnery-Patris, chargée de recherche Inra au Centre des Sciences du Goût et de l’Alimentation (CGSA), conseille : « une des recommandations que nous pourrions faire aux industriels, à la suite des résultats préliminaires de nos travaux réalisés dans le cadre d’Opaline, serait de concevoir davantage d’aliments pour les enfants qui aient une dimension sensorielle très forte ». L’odeur est également essentielle : « il apparaît que les enfants les plus difficiles au plan alimentaire sont aussi les plus réactifs au plan olfactif ».

Raison et passion sont intrinsèquement liés lors du choix d’un aliment, mais notre affect, notre mémoire, notre biologie et notre subjectivité rentrent seuls en ligne de compte lors de la dégustation d’un aliment. La madeleine de Proust existe bel et bien, et chaque individu a la sienne. L’institut In Vivo BVA précise : « ce qui caractérise notamment [les] souvenirs alimentaires, c’est d’être résistants à l’oubli. Lors d’un test de préférence pour un ketchup avec ou sans vanille, il s’est avéré que les adultes qui préféraient cette sauce à la vanille avaient été nourris au biberon, dès leur naissance, avec des laits parfumés à la vanille. Ainsi, cette expérience précoce semblerait toujours influencer, de façon inconsciente, leurs préférences alimentaires à l’âge adulte ».

Le goût est avant tout une question de biologie. Ainsi, les cellules sensorielles spécialisées dans la gustation possèdent des récepteurs sensibles au sucré, au salé, à l’acide, à l’amer et au glutamate (ou umami). Une question à l’étude actuellement est la possible existence de récepteurs aux lipides chez l’homme. Le projet Sensofat, labellisé par Vitagora, a mis en lumière la présence d’une protéine CD36 (Fatty Acid Transporter), qui est un lipido-récepteur gustatif, chez les souris. Ces dernières préfèrent ainsi spontanément les aliments gras. L’étude HumanFATaste s’attèle à prouver l’existence ou l’inexistence de telles structures chez l’homme, ainsi que d’évaluer leurs liens avec les perceptions gustatives et avec la santé des individus (en rapport avec l’obésité notamment). La salive pourrait également différer d’un être humain à l’autre, et influencer sur notre goût. Le projet Oralisens, porté par le CSGA et lancé en 2010, se penche sur ces aspects. Les premières conclusions du projet SensInMouth, qui a pour but « de mieux comprendre et de modéliser la dynamique de la libération des solutés à l’origine des stimuli sensoriels lors de la mastication d’un aliment chez l’homme », selon Elisabeth Guichard du CGSA, laissent à penser que la salive aurait effectivement un impact sur notre perception gustative des aliments.

Afin d’évaluer les aspects organoleptiques de leurs produits, les industriels ont recours à l’évaluation sensorielle. Cette dernière s’élargit de plus en plus en intégrant de nouvelles approches. Par exemple, le Positionnement Sensoriel Polarisé, ou PSP, a été mis au point par la plateforme sensorielle du CSGA et a permis d’étudier le goût de l’eau. Trois types d’eaux ont ainsi été distinguées : le type Vittel, minéralisé et salé, le type Volvic, peu minéralisé et métallique, et le type Evian, neutre. Les panels de consommateurs n’auront ainsi plus qu’à comparer les nouvelles eaux étudiées à ces trois références pour permettre d’évaluer au mieux le ressenti qui leur est affecté. Les nouvelles méthodes permettent également de gagner du temps : « nous obtenons un résultat en une semaine au lieu de trois à cinq semaines pour un profil sensoriel classique », explique François Germon, de l’école Agrotec. Le profil flash et le profil libre choix consistent à réunir un jury composé d’une dizaine d’experts, qui va décrire de façon objective un certain nombre de caractéristiques et leur intensité. Les techniques de tri libre et de napping visent à avoir une vision globale d’un produit et de son positionnement, via le rapprochement par les consommateurs sondés de ces produits avec d’autres produits de référence, selon leurs ressemblances ou dissemblances. La Dominance Temporelle des Sensations (DTS), quant à elle, ne s’intéresse qu’à l’ordre d’apparition des sensations déclenchées par la dégustation d’un produit. Le Trade off sensoriel s’attache à définir composante par composante (couleur, arôme, aspect…) la recette idéale d’un produit. L’ethno-marketing s’intéresse davantage au comportement du consommateur et au positionnement du produit dans son environnement. Internet a aussi fondamentalement révolutionné l’approche de l’évaluation sensorielle. Christian Theet, d’Eurofins Marketing, souligne que : « Internet nous permet également de mener des études sur des concepts on line et de suivre les tests de produits à domicile dans le temps ». Le goût et son étude semblent donc loin d’être une préoccupation mineure pour les IAA. V.D.

ParLa rédaction
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