Alors que les surfaces cultivées en agriculture biologique reculent pour la deuxième année consécutive et que la dynamique de conversion reste à l’arrêt, les derniers chiffres de l’Agence Bio viennent confirmer une tendance alarmante pour le secteur. Face à ce constat, la Fédération nationale d’agriculture biologique (FNAB) lance un appel pressant à l’État : il est urgent de sécuriser l’offre en produits bio d’origine France et de réorienter les politiques publiques de soutien, à l’heure où se joue une étape stratégique de la réforme de la PAC.
Recul des conversions, stagnation du marché, manque de soutien structurel
La tendance est claire : depuis 2022, la croissance des surfaces certifiées bio s’est enrayée, plombée par un double effet de ralentissement du marché et d’effritement des aides économiques. Si les signaux de reprise de la demande se font jour, l’offre française, elle, ne suit pas. Et pour cause : les soutiens publics, notamment ceux de la Politique agricole commune (PAC), ne permettent plus d’accompagner suffisamment les producteurs déjà engagés dans le bio, ni d’en inciter de nouveaux à sauter le pas.
«Entre 2015 et 2023, les agriculteurs bio ont perdu plus de la moitié de leurs aides environnementales, alors que le budget global de la PAC n’a baissé que de 5 %», souligne Loïc Madeline, co-président de la FNAB et polyculteur-éleveur dans l’Orne. Selon lui, l’erreur majeure a été de sanctuariser les aides à la conversion sans garantir le soutien aux fermes déjà converties, fragilisant ainsi l’ensemble de la filière.
La révision à mi-parcours de la PAC
Alors que se profile d’ici fin juillet l’arbitrage sur la révision à mi-parcours de la PAC, la FNAB voit dans ce calendrier une occasion unique de rectifier une trajectoire jugée injuste et inefficace. Le ministère de l’Agriculture dispose en effet d’une marge de manœuvre budgétaire inexploitée : le sous-financement généré par la non-conversion de nombreuses surfaces depuis deux ans pourrait libérer près d’un milliard d’euros d’ici à 2027. Or, cette manne ne semble pas prise en compte dans les arbitrages actuels.
«L’addition des euros non dépensés est un calcul simple. Les surfaces non converties en 2023 et 2024 ne demanderont pas l’aide à la conversion pour les années suivantes, et cet argent devrait logiquement être réaffecté à la Bio. Mais on a l’impression que la ministre cherche à détourner une partie de ce budget vers des mesures non bio», déplore Loïc Madeline. La FNAB réclame un tiers de ce reliquat, soit environ 300 millions d’euros, pour renforcer l’écorégime bio à hauteur de 145 euros par hectare et par an. Un montant jugé vital pour maintenir la viabilité économique des exploitations déjà engagées.
Un soutien budgétaire jugé insuffisant, malgré les annonces
Si l’État et l’Europe continuent d’apporter leur soutien à l’agriculture biologique, le détail des dispositifs révèle une réalité bien plus modeste que les annonces globales. En 2024, le crédit d’impôt bio financé par l’État s’élève à 142 millions d’euros. Il bénéficie à la moitié des fermes bio, à raison de 4 500 euros par exploitation. À titre de comparaison, le crédit d’impôt sur le gazole non routier dépasse, lui, le milliard d’euros.
Côté PAC, l’écorégime bio représente 90 millions d’euros, soit un bonus de seulement 30 euros par hectare par rapport aux autres exploitations. L’aide à la conversion s’élève à 25 millions d’euros pour 84 000 hectares concernés, un niveau très faible par rapport aux besoins estimés. Une aide exceptionnelle de 105 millions d’euros vient gonfler temporairement l’enveloppe, portant le soutien total à 362 millions d’euros en 2024. Mais sur une base annuelle normale, les exploitations bio perçoivent en réalité seulement 257 millions d’euros — soit à peine la moitié des 700 millions souvent évoqués dans les discours.
La bio française dans une impasse stratégique?
Toujours selon la FNAB, ces chiffres traduisent une forme de désengagement progressif de l’État vis-à-vis de la bio, malgré les ambitions affichées en matière de transition agroécologique. Le paradoxe est d’autant plus criant que la France, premier pays européen en surface bio, dispose d’un potentiel important pour structurer une filière compétitive, locale et durable. Mais l’absence d’un cap clair et d’un soutien adapté pourrait conduire à une perte de souveraineté sur un segment pourtant stratégique.
Pour la FNAB, il ne s’agit pas simplement de défendre des intérêts catégoriels, mais de préserver une vision de l’agriculture fondée sur la durabilité, la résilience des systèmes alimentaires et la reconquête de la confiance des consommateurs. « Le soutien à la Bio n’est pas un luxe ni une charge, c’est un investissement pour la qualité de notre alimentation, de notre environnement, et de notre souveraineté alimentaire », insiste Loïc Madeline.