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Abattage et bien-être animal : définitivement incompatibles ?

A l’heure où l’abattage rituel est pointé du doigt, entre autres en raison de la souffrance infligée aux animaux, il peut être intéressant de se pencher sur le lien entre abattage et bien-être animal. En effet, même si ces deux termes semblent incompatibles, qu’en est-il réellement ? Aujourd’hui, en France, combien d’animaux sont abattus de façon rituelle ? Souffrent-ils davantage que les autres ? Comment évaluer la souffrance-même de ces animaux que l’on consomme ?

Agro-media.fr se penche pour vous sur le lien entre abattage et bien-être animal.


Une prise en compte croissante du bien-être animal par les consommateurs

Une étude menée par Ifop pour le CIWF (Compassion In Worl Farming, association de défense du bien-être animal) révèle que 73% des français portent une attention particulière aux conditions d’élevage, et qu’elles sont l’un des critères de choix d’un produit. Plus significatif encore, 85% des Français jugent importantes les informations portant sur les conditions d’élevage des animaux. Or, aujourd’hui, ce type d’information « n’existe que pour les œufs (codes 0, 1, 2 ou 3 sur la coquille) ».  De fait, le CIWF a proposé que « ce type d’étiquetage soit étendu aux autres produits animaux, afin que le consommateur puisse faire ses achats en connaissance de cause ». Pour l’instant, la proposition est restée sans suite.

Evaluation et identification des sources de douleur au cours de l’abattage

Nos sociétés étant de plus en sensibles à la douleur des animaux et au bien-être animal de façon plus générale, le chef de l’Etat a pris l’initiative en 2008 d’instaurer les Rencontres Animal-Société. Leur objectif était de dresser un état des questions posées dans les différents registres des relations entre l’homme et l’animal, en réunissant professionnels, scientifiques, élus, pouvoirs publics et associations. Ces rencontres ont notamment abouti à une demande d’expertise scientifique collective (ESCo) sur la douleur animale, qui a été inscrite dans le plan d’action issu de ces Rencontres et a été adressée à l’INRA.

Cette ESCo a permis d’aboutir à la publication d’un rapport intitulé Douleurs animales : les identifier, les comprendre, les limiter chez les animaux d’élevage, qui comprend notamment une première approche de la notion de douleur chez les animaux, des situations dans laquelle elle est présente et des moyens pour l’éviter. Les chercheurs ont établi une liste non exhaustive des critères permettant d’identifier la douleur chez l’animal, qu’ils soient physiologiques (concentrations hormonales, rythmes cardiaque et respiratoire, température, sudation, réponse inflammatoire, activité cérébrale…) ou comportementaux (vocalisation, posture, fuite, agitation, isolement, agressivité…).

Au cours de l’abattage, l’INRA a distingué plusieurs types de sources de douleurs selon le moment de l’abattage :

Certaines opérations qui peuvent être réalisées au cours de l’abattage sont jugées particulièrement douloureuses, comme le fait que le geste de saignée se poursuive en opération de tranchage du cou et des vertèbres cervicales.

La durée nécessaire entre la jugulation et la perte de conscience des animaux est un facteur essentiel dans l’évaluation de la douleur dont sont victimes les animaux. Ainsi, elle est beaucoup plus faible pour les ovins (14 secondes en moyenne selon l’INRA) que pour les bovins (45 secondes). De plus, il existe chez les bovins un phénomène de faux-anévrismes : il s’agit d’une rétractation des carotides dans leur gaine avec formation de caillots après la coupe, ce qui diminue nettement le flux de sang. De fait, le temps nécessaire à la perte de conscience est beaucoup plus long. Leur prévalence varie de 5 à 25 % des bovins selon les études. Des études sur le terrain montrent que les faux-anévrismes concerneraient 17 à 18% des animaux lors d’abattages musulman (halal) et juif (shechita).

La compétence de l’opérateur chargé de la saignée ou du sacrificateur influent énormément sur la douleur infligée à l’animal et sur le temps nécessaire à sa perte de conscience. Ainsi, chez les volailles, comme chez les bovins, la saignée manuelle donne des résultats très variables en termes de délais de perte de conscience. Par exemple, chez le poulet, selon que la saignée effectuée est uni- ou bilatérale, la perte de conscience varie de 60 à 120 secondes. Les quelques études qui existent sur la qualité des pratiques montrent que chez la volaille, entre 0 et 42% des gestes et chez les bovins, entre 1 et 6% des gestes sont techniquement mal réalisés (absence de transsection des deux carotides).

Des études récentes indiquent que dans le cas de l’abattage rituel, la transsection des tissus et des vaisseaux principaux du cou provoque des réponses cérébrales qui ne sont pas dues à la diminution de l’irrigation cérébrale. D’autres études sont néanmoins nécessaires pour déterminer si les animaux perçoivent cette stimulation comme douloureuse.

Peut-on remédier à ces douleurs ou sont-elles incontournables ?

L’INRA a identifié plusieurs pistes permettant de contourner ou tout du moins d’atténuer les douleurs causées par les sources précédemment citées :

Dans le cas particulier de l’abattage rituel, la bonne réalisation de l’acte est cruciale pour son efficacité à établir une perte de conscience très rapide. Comme pour les techniques d’abattage standard, la formation des sacrificateurs et opérateurs de l’abattoir, le matériel utilisé, les conditions d’immobilisation et la cadence de travail sont très importants. En outre, deux pistes concrètes sont envisageables pour éviter les douleurs liées aux problèmes de « mauvaise saignée » et de retard de perte de conscience, qui sont observées chez les bovins :

Un cadre législatif de plus en plus strict pour l’abattage rituel

De façon générale, l’abattage sans étourdissement préalable est interdit par la loi. Toutefois, le droit européen (règlement (CE) n° 1099/2009 du Conseil du 24 septembre 2009) comme le code rural et de la pêche maritime (article R. 214-70), prévoient une dérogation à cette obligation lorsque l’étourdissement n’est pas compatible avec les prescriptions cultuelles se rapportant au libre exercice du culte en matière d’abattage des animaux. La Cour européenne des droits de l’homme a même considéré dans un arrêt du 27 juin 2000 que cette dérogation constituait un « engagement positif de l’État visant à assurer le respect effectif de la liberté d’exercice des cultes ».

Selon la DGAL, 13% des veaux, 12% des gros bovins et 42% des ovins et des caprins ont été abattus en 2010 en France selon un abattage rituel. Un rapport rédigé pour le Conseil Général de l’Alimentation (CGA) par dix experts et hauts fonctionnaires du ministère a quant à lui estimé le volume d’abattage rituel à 40% pour les bovins et 60% pour les ovins. Or, ce rapport affirme que « la demande en viande halal ou casher devrait correspondre à environ 10% des abattages totaux ».

De fait, la réglementation s’est récemment renforcée suite à la publication d’un arrêté spécifique au journal officiel de la république française le 29 décembre 2011. Ainsi, le III de l’article R.214-70 crée un régime d’autorisation préalable à la réalisation de l’abattage sans étourdissement. Autrement dit, les abattoirs devront demander l’autorisation de pratiquer l’abattage rituel, qui ne sera accordée que si certaines règles sont respectées. Ce nouveau règlement est une véritable avancée pour les associations de bien-être animal, notamment parce qu’elle met en place la nécessité de justifier d’une commande pour pouvoir pratiquer l’abattage rituel. Les abattoirs sont en effet accusés de pratiquer systématiquement un abattage sans étourdissement préalable pour pouvoir à la fois valoriser au mieux leurs produits sous des labels halal ou cashers tout en écoulant le reste dans les circuits traditionnels.

Conclusion : abattage et bien-être animal sont-ils incompatibles ?

Après cette enquête, il semblerait que la douleur des animaux soit bel et bien inévitable au moment de l’abattage. Néanmoins, il reste possible de la réduire au maximum, grâce à différentes mesures. Ainsi, il serait préférable d’avoir un personnel formé à charger et décharger les animaux, des aires de stockage des animaux vivants assez spacieuses pour limiter les agressions entre individus, une cadence adaptée qui permette aux animaux de ne pas attendre trop longtemps dans le couloir d’abattage avant étourdissement et/ou saignée, un étourdissement par tige perforante qui serait correctement réalisé et enfin une saignée thoracique. Cependant, ces dispositions sont incompatibles avec l’abattage rituel, auquel cas la formation du sacrificateur est capitale dans la souffrance endurée par l’animal et son temps de perte de conscience. De même, des étourdissements réversible ou post-saignée pourraient être envisagés pour réduire la douleur des animaux. Néanmoins, toutes ces mesures ne sont pas toujours compatibles avec la réalité des abattoirs et les contraintes du métier. De plus, elles ont un coût non négligeable. Cependant, la demande croissante des consommateurs pour des animaux abattus sans souffrance devient telle que ces mesures sont à envisager pour les abattoirs désireux de respecter le bien-être des animaux abattus. V.D.

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