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Fraisnor : une société sacrifiée sur l’autel du horsegate

Lasagnes

Après trois mois d’incertitudes et de lutte, la société Fraisnor, qui a été victime du scandale de la viande de cheval, a été liquidée le 22 mai 2013. La société fabriquait chaque mois 700 tonnes de lasagnes fraîches, en majorité au boeuf et au porc, vendues dans toutes les grandes et moyennes surfaces françaises et importées en Allemagne.  A la clé : 110 licenciements secs.

« C’était la crise de trop ». Pour Christian Delepine, syndicaliste CGT et ex-Fraisnor, le scandale de la viande de cheval dans les lasagnes Fraisnor a fait mettre la clé sous la porte à la société. La PME pas-de-calaisienne de 110 employés se relevait d’une crise précédente provoquée par la flambée des prix des matières premières.

L’affaire dite « de la viande de cheval » va éclater au Royaume-Uni à la mi-janvier  2013 et va vite s’étendre à l’ensemble de la chaine alimentaire européenne. Face à l’ampleur de la fraude, le 13 février 2013, Bruxelles met en place une réunion de crise. A l’ordre du jour : les systèmes de contrôle européens. A l’issue de la rencontre, un programme de trois mois de tests ADN sur la viande transformée en circulation dans l’Union européenne va voir le jour. Moins de 3 mois après, le géant français de la lasagne, Spanghero est placé en redressement judiciaire. Très vite, de nombreuses victimes collatérales vont apparaître. Parmi elles : Fraisnor, à Feuchy, dans le Pas-de-Calais.

En janvier 2013, Fraisnor employait 135 ouvriers dont 110 en CDI et les machines tournaient à plein régime. « Il y a des gars qui faisaient des heures supplémentaires, les commandes n’en finissaient plus de tomber même si je gueulais parce qu’on bossait trop, c’était bien, ça voulait dire que la boite était en bonne santé », se souvient Christian Delepine. Amer, Olivier, salarié de Fraisnor durant 14 ans nous conduit sur les lieux déserts de l’usine. « Voilà, ça fait un an que je passe devant régulièrement et c’est à chaque fois difficile, c’est ce portail fermé qui fait le plus mal à voir ».

L’entrée en lice de JB Viande

En septembre 2014, l’usine devrait à nouveau ouvrir ses portes afin d’accueillir la production de porcelet de Porketto, marque du groupe leader de la viande de porc, JB Viande, qui a investi 6,7 millions d’euros pour racheter une partie des actifs de la société (bâtiments et machines).

Deux ex-salariés de Fraisnor devraient, cependant, intégrer les équipes de JB Viande. Actuellement formés à Hazebrouck, les deux ouvriers de lignes de conditionnement seront les seuls à revenir à Feuchy. « Notre arrivée sur le site d’arras est prévue au 3ième trimestre. Nous avons le projet de recrutement de 15 personnes  entre août et mars 2015 parmi lesquels des ex-FRAISNOR seront recrutés. », nous confirme la direction de la société JB Viande.

L’acte manqué de 2011

« Le principal reproche que je ferai à Leemans c’est d’avoir refusé de céder Fraisnor à Delecroix son fondateur historique en 2011. », explique Christian Delepine. En 2011, alors en proie à une énième flambée des prix de la semoule de blé, Fraisnor est en difficulté. Le fondateur historique de la société, M. Delecroix propose alors à Alain Leemans, PDG de Fraisnor de lui racheté la PME. « C’était une poignée d’euros, Leemans a logiquement refusé mais c’était une belle erreur de sa part ». M. Delecroix souhaitait alors réinjecter des capitaux dans l’entreprise mais il projetait également de redéfinir le projet industriel. « Il aurait pu nous sauver, ça tenait la route… ».

Alors que le scandale de la viande de cheval explose, tous les jours du mois de février se suivent et se ressemblent pour les 110 salariés de Fraisnor. Au chômage technique après une chute de 70% des commandes, face à l’incapacité de payer les fournisseurs et les transporteurs et ces 5% de viande de cheval retrouvés dans les lasagnes Fraisnor, les salariés n’ont déjà plus beaucoup d’espoir.

Fournie par Gel Alpes (le sous-traitant a également était liquidé en 2013, ndlr), laviande venue de Roumanie sera fatale à la société de Feuchy. « La viande arrivait sous vide, congelée, on n’a jamais fait de tests ADN mais il y avait des contrôles sanitaires très stricts, on fournissait les LIDL et ALDI allemands et ils ne plaisantaient pas avec l’hygiène mais ça n’a pas suffit. Le problème venait d’ailleurs. », explique Christian Delepine.

Une lutte vaine

Après avoir défilé devant la préfecture le 20 février afin de réclamer une aide de l’État, c’est vers la justice que l’entreprise s’est tournée. Mercredi 6 mars, la direction de Fraisnor a déposé un dossier de redressement judiciaire auprès tribunal de commerce d’Arras. Les salaires du mois de février ne seront pas versés début mars et l’occupation de l’usine le soir et le week-end pour éviter toute délocalisation de l’outil de travail est votée fin février.

La lutte s ‘intensifie le 11 mars,  lorsque deux salariés de l’usine se sont retranchés en haut des silos, réclamant une rencontre avec le ministre délégué à l’Agroalimentaire, Guillaume Garrot, qui viendra à leur rencontre en fin de journée. Quelques jours après, un groupe de salariés marchera jusqu’au domicile d’Alain Leemans, dans la banlieue de Bruxelles. « On ne voulait pas non plus le séquestrer mais juste discuter, dans un autre cadre que celui de l’usine et le mettre face à la réalité », explique Olivier, participant à l’expédition. Puis l’Elysée où une délégation CGT sera reçue par le cabinet présidentiel. « Ca n’a servi à rien, l’Etat n’a rien fait, je reste convaincu qu’ils auraient pu nous aider… », persiste Christian Delepine.

Un sauvetage mort-né

« En une semaine tout s’est arrêté, Fraisnor aurait dû être liquidé dès la fin du mois de mars mais l’employeur a déposé un recours au tribunal de Commerce », explique Me Depreux, le mandataire judiciaire. La communauté urbaine d’Arras (CUA) a tenté de profiter de ce laps de temps pour venir en aide à Fraisnor. « Nous avons débloqué 300 000 euros pour permettre à Fraisnor de respirer un peu. C’était un peu l’enveloppe de la dernière chance. », explique le directeur de cabinet de Philippe Rapeneau, Président de la CUA.

Par ailleurs, la CUA s’était engagée à racheter à la SARL Fraisimmo, détenue par Alain Leemans, PDG de Fraisnor, le site de 16 000 m2 de terrain et 5 000 m2 de bâti, sur la zone Artoipole, à Feuchy. Le prix d’achat était alors fixé à 2,5 millions d’euros, somme de laquelle il fallait déduire pour Fraisnor environ 1 million d’euros correspondant à l’hypothèque du bâtiment, reprise par la CUA. Alain Leeman s’était alors engagé à réinjecter dans Fraisnor la somme qu’il devait de 1,5 million d’euros. La liquidation ayant été prononcée le 22 mai, ce rachat n’a pu se faire.

De son côté, le Conseil Général avait également débloqué près de 300 000 euros pour tenter de sauver Fraisnor. Contacté, le service de communication du Conseil Général ne donnera pas suite à notre requête. L’ex-Fraisnor, Olivier,  se souvient d’un autre geste du Conseil Général. “Ce qui était vraiment beau, c’est qu’ils s’étaient engagés à servir des lasagnes Fraisnor dans toutes les cantines des écoles du département.” Là encore, la liquidation est survenue avant l’éxécution de ce plan de sauvetage local.

Des reclassements difficiles

« Faute d’appartenir à un groupe,  les ex-Fraisnor n’ont pu bénéficier de reclassements internes », explique le mandataire judiciaire, Me Depreux. Plus d’un an après la fermeture définitive de la société seuls 14 personnes ont retrouvé un CDI. Sollicité pour un entretien, Pôle Emploi n’a pas souhaité répondre à nos questions.

Le CSP prenant fin le 30 juin 2014, l’inquiétude monte chez les anciens salariés. « On arrive au bout, on va faire quoi quand on aura plus aucune rentrée d’argent ? C’est dur pour nous de retrouver un emploi et puis on a l’étiquette Fraisnor, les mecs qui sont montés sur les silos et puis l’expédition chez Leemans… on ne regrette rien mais aujoud’hui ça nous colle à la peau », affirme Olivier. Il a déjà eu 11 entretiens pour un emploi de machiniste, en vain.

Pour l’heure, les 30.000 euros du volet social du PSE sont encore au chaud. Seuls 3000 euros ont servi jusqu’alors à payer le permis B d’une ex-salariée, la malette professionnelle de coiffeuse d’une autre, reconvertie. « J’avais déjà passé tous les permis poids lourds existants avant le PSE, je suis en recherche active d’emploi, j’espère vraiment pouvoir tourner la page Fraisnor au plus vite », conclu Christian Delepine.

 I.B.

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