Loin d’être utilisés librement, les additifs alimentaires sont soumis à un encadrement réglementaire parmi les plus rigoureux du secteur agroalimentaire. En Europe comme dans d’autres grandes régions du monde, leur usage est autorisé uniquement après une évaluation scientifique approfondie, visant à garantir l’innocuité pour le consommateur. Cependant, ce cadre, bien qu’extrêmement structuré, n’échappe ni à la controverse, ni à la défiance croissante d’un public de plus en plus sensible aux questions de santé et de transparence. Entre sécurité réglementaire et pression médiatique, les professionnels de l’agroalimentaire doivent manœuvrer avec rigueur et vigilance.
Une autorisation conditionnée à une évaluation scientifique
Dans l’Union européenne, l’utilisation des additifs est encadrée par le Règlement (CE) n°1333/2008. Ce texte établit la liste des substances autorisées, les denrées dans lesquelles elles peuvent être utilisées, et les quantités maximales admissibles. Chaque additif est désigné par un code commençant par la lettre E, suivi d’un numéro. Ces codes, bien connus des formulateurs, sont souvent mal perçus par les consommateurs, qui y voient une marque de “chimie”, alors qu’ils garantissent en réalité une traçabilité réglementaire et une standardisation européenne.
Avant toute autorisation, les additifs sont évalués par l’EFSA (Autorité européenne de sécurité des aliments), sur la base de dossiers scientifiques complets. Cette évaluation porte sur la toxicité potentielle de la substance, son devenir dans l’organisme (métabolisme, excrétion), la dose journalière admissible (DJA ou ADI en anglais), et l’exposition globale des populations selon les usages prévus.
L’EFSA établit ensuite un avis scientifique, sur lequel la Commission européenne s’appuie pour autoriser, restreindre ou interdire l’additif concerné. Il est important de souligner que même les additifs autorisés peuvent être réévalués périodiquement, à la lumière de nouvelles données toxicologiques ou d’évolutions dans les habitudes alimentaires.
Certaines substances autrefois autorisées font désormais l’objet de révisions réglementaires ou de retraits progressifs, illustrant le caractère évolutif du cadre réglementaire. L’un des cas les plus emblématiques est celui du dioxyde de titane (E171), longtemps utilisé comme colorant blanc dans de nombreux produits (confiseries, chewing-gums, sauces…). En 2021, l’EFSA a conclu qu’il ne pouvait plus être considéré comme sûr, en raison d’incertitudes sur sa génotoxicité. Cette conclusion a conduit à son interdiction dans l’UE dès 2022.
Autre sujet sensible : celui des nitrites et nitrates (E249 à E252), utilisés principalement dans les charcuteries pour prévenir le botulisme et assurer la coloration. Bien que leur efficacité soit avérée, leur lien potentiel avec certaines formes de cancer colorectal, en cas de consommation excessive, a poussé les autorités françaises à recommander une réduction de leur usage. La loi EGalim 2 impose d’ailleurs une trajectoire de diminution progressive dans les produits transformés.
Ces révisions réglementaires, bien qu’appuyées sur des expertises scientifiques, se retrouvent souvent prises dans des tensions médiatiques où les débats dépassent la rigueur scientifique. La médiatisation de certaines études, les campagnes d’ONG, ou encore les classements d’applications mobiles grand public (type Yuka) influencent fortement l’image des additifs, parfois au détriment de leur réelle utilité ou de leur dangerosité objective.
Entre défiance du consommateur et injonction de transparence
Dans ce climat d’hyper-médiatisation, les perceptions des consommateurs jouent un rôle de plus en plus central dans les décisions marketing des entreprises. Nombre d’études montrent une défiance généralisée vis-à-vis des additifs, perçus comme artificiels, inutiles, voire nocifs. Cette méfiance est d’autant plus forte que l’énumération de “E…” dans la liste d’ingrédients est souvent vécue comme opaque ou anxiogène.
Face à cela, de nombreuses marques adoptent des stratégies de transparence ou de “clean label” : simplification des listes d’ingrédients, suppression volontaire de certains additifs controversés, substitution par des extraits naturels mieux perçus. Il est important de noter que cette évolution vers la naturalité, si elle répond aux attentes sociétales, ne s’affranchit pas pour autant des obligations réglementaires : tout ingrédient ayant une fonction technologique doit être considéré comme un additif, même s’il est “naturel”.
Le défi pour les industriels est donc double : rester en conformité avec une réglementation stricte et évolutive, tout en intégrant des exigences de transparence, de pédagogie et de reformulation guidée par la perception du public. Cela implique une collaboration étroite entre les départements R&D, qualité, réglementation et marketing.
Une vigilance constante et une responsabilité partagée
Dans ce contexte, les professionnels doivent adopter une démarche proactive en matière de veille réglementaire, d’analyse toxicologique et de gestion des risques. Les réévaluations scientifiques, les évolutions du Codex Alimentarius ou les décisions de la Commission européenne doivent être suivies de près. L’intégration d’un nouvel ingrédient, d’un substitut ou d’un procédé alternatif nécessite une vérification rigoureuse de son statut réglementaire, de ses allégations potentielles et de son acceptabilité sensorielle.
En parallèle, les entreprises ont un rôle pédagogique à jouer pour réconcilier les consommateurs avec certaines fonctions technologiques indispensables. Expliquer pourquoi un antioxydant est présent dans une huile, ou pourquoi un gélifiant est utilisé dans une crème dessert, participe à restaurer une forme de confiance.