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Interview exclusive : comment les entreprises peuvent-elles prévenir les litiges liés au temps de travail ?

Les litiges entre employeurs et salariés au sujet de la durée du travail et des heures supplémentaires sont monnaie courante, à l'instar de celui ayant opposé McDonald's et une ancienne cadre et à l'issue duquel l'enseigne de restauration avait été condamnée à verser 250 000€ d'heures supplémentaires à la plaignante.

Les litiges entre employeurs et salariés au sujet de la durée du travail et des heures supplémentaires sont monnaie courante, à l’instar de celui ayant opposé McDonald’s et une ancienne cadre et à l’issue duquel l’enseigne de restauration avait été condamnée à verser 250 000€ d’heures supplémentaires à la plaignante.

Pourquoi les condamnations de ce type sont-elles fréquentes ? Lorsque l’on est employeur, comment peut-on prévenir ce type de litiges ?

Agro-media.fr a interrogé un avocat spécialisé en droit social qui répond en exclusivité à ces questions.

David Jonin est associé au sein du cabinet Gide Loyrette Nouel, au département Droit social. Le cabinet Gide Loyrette Nouel représente environ 360 avocats à Paris et 650 dans le monde, et présente la particularité d’être organisé en départements qui correspondent à des lignes de métiers répartis dans 19 bureaux dans le monde. Il intervient dans le domaine du conseil et du contentieux en droit du travail et en droit de la protection sociale, pour les entreprises.

 

Pourquoi les condamnations en matière de durée du travail sont-elles si nombreuses ?

« Je pense que le droit social est très compliqué, notamment pour les petits employeurs. Les petites entreprises sont focalisées sur leur activité économique et leur viabilité. Il me semble qu’au sein de ces petites entreprises il n’y a pas de spécialistes du droit social. Or, les exigences qui pèsent sur les employeurs sont telles qu’il n’est pas si compliqué que cela pour un salarié de trouver une faille dans le système de durée du travail mis en place par l’employeur. Ceci génère toute une série de litiges.

Je pense aussi que le droit sur la durée du travail remonte à un certain temps, même s’il a été réformé pour partie dans le contexte des lois Aubry. Pour certaines entreprises, le droit de la durée du travail a plus d’un demi-siècle. Est-il encore parfaitement adapté à la situation des petites entreprises ? Je n’en suis pas sûr. Même des moyennes ou des grandes entreprises ont parfois des difficultés à assimiler le caractère extrêmement technique des dispositions du code du travail en matière de durée du travail. »

Les forfaits jours des cadres peuvent-ils prévenir ce type de condamnation ?

« Oui, à la condition que le forfait jour soit conforme aux dispositions du code du travail et aux exigences de la Cour de cassation. Il y a notamment un arrêt du 29 juin 2011 de la Cour de cassation qui a fait suite à un avis rendu par le comité européen des droits sociaux qui semblait remettre en cause la conformité même du système législatif des forfaits-jours. Le comité avait considéré effectivement que la législation française sur le forfait-jour pouvait éventuellement être considérée comme non conforme à la charte européenne des droits sociaux. Nous étions un peu interrogatifs sur ce qu’allait dire la Cour de cassation suite à cet avis du comité européen des droits sociaux, mais elle a considéré que le forfait-jour était valable. Cependant, elle a fixé toute une série de conditions pour qu’il soit valable, qui sont extrêmement compliquées à respecter en pratique par les employeurs. Ainsi, la Cour de cassation a déclaré :

  • qu’il faut décompter les jours travaillés,
  • qu’il faut tenir une documentation sur la réalité des jours de repos qui sont pris par le salarié au-delà des simples congés prévus par le code du travail,
  • qu’il faut un suivi régulier de la charge de travail du salarié et de son organisation du travail pour être sûr qu’il a une amplitude de travail raisonnable
  • et qu’il faut que l’employeur soit en mesure d’apporter des éléments en cas de contentieux sur le caractère raisonnable de l’amplitude et de la charge de travail.

Si l’on suit les exigences fixées par la Cour de cassation, on peut considérer que le forfait-jour est un outil efficace pour éviter tout litige autour des heures supplémentaires. Il faut se rappeler également que le forfait-jour s’applique aux cadres qui ont un certain degré d’autonomie, donc pas à l’ensemble des salariés français.

 

Dans un arrêt rendu le 31 janvier 2012, la Cour de cassation a confirmé ses exigences sur le forfait et a jugé que les règles issues de la seule convention collective des industries chimiques n’étaient pas suffisantes pour permettre la signature de conventions de forfaits en jours. »

 

Agro-media.fr remercie Me David Jonin pour avoir accepté de répondre à nos questions.

Propos recueillis par Vanessa Dufus.

ParLa rédaction
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